Exposition | « Souffrances de femmes »
© Marie Anne Maniet
Femmes souffrant d’une fistule obstétricale.
J’ai rencontré Rasmata, une burkinabé, qui habite à Ouagadougou. Elle se bat pour l’éducation des enfants défavorisés dans son quartier de Ouaga et lutte pour aider les femmes victimes d’une fistule obstétricale : hébergement, opération chirurgicale, réinsertion sociale… A chaque voyage, je rencontre ces femmes, appelées fistuleuses, en attente d’une opération qui leur permettra de ne plus devoir se cacher et de vivre… Cette maladie est le résultat d’un accouchement difficile, de séquelles de l’excision ou d’un viol. Les femmes perdent en permanence leurs urines et/ou leurs selles. Elles sont la risée de leur entourage. Marginalisées, refoulées, rejetées par leur famille, abandonnées de tous, elles sont taxées de toutes sortes de maux : sorcellerie, infidélité, etc. Elles se replient sur elles-mêmes et s’isolent du reste du monde. Ce mal est qualifié de maladie de la honte.
Souffrances de femmes
Récit d’Hélène, 25 ans, donnée en mariage forcé à l’âge de 16 ans à un homme de 40 ans ayant déjà 3 femmes.
« J’ai trop souffert avec cette grossesse. Mon mari aussi était malade. Mais il est parti en Côte d’Ivoire. Quand il a décidé de voyager, il a laissé 5000 francs à sa mère pour qu’elle m’accompagne au centre de santé au cas où je serais malade, ou lorsque le ventre va commencer. Je n’ai pas pesé la grossesse parce que ma belle-mère n’a pas accepté.
Ma grossesse a commencé un soir, et puis ça s’est calmé la nuit. Au petit matin, ça ne faisait plus mal, mais mes pieds me faisaient mal. Je ne pouvais plus marcher, je souffrais beaucoup. Entre temps, les hommes ont pris la décision de m’amener à Imasgho et ils m’ont attachée sur une moto comme un cadavre. Arrivés à Ismagho, les agents de santé ont dit de continuer à Koudougou parce que c’était compliqué. Ils ont dit qu’ils ne pouvaient pas continuer à Koudougou parce qu’ils n’avaient pas d’argent. On est parti à la maison, puis ils ont appelé une vieille pour me faire accoucher en vain. J’avais les pieds complètement paralysés et les urines ont commencé à couler en ce moment. Comme l’enfant était mort, ils ont tiré dessus pour l’enlever, et j’ai eu très mal. Je me suis évanouie après.
C’est pas possible de me soigner seule. Personne n’a voulu m’aider. Je ne pouvais pas supporter. Compte tenu que je suis orpheline de père et de mère et abandonnée par mes frères et sœurs de même mère dû à ma maladie, je suis sortie seule chercher un refuge à Koudougou à 25 km à pied.
Je n’ai plus revu mon mari, et il est mort là-bas. Les membres de sa famille ne veulent plus de moi à cause de ma maladie. Les autres femmes de la cour me traitent de sale femme. A cause de mes urines je dormais dans un poulailler.
Quand je suis arrivée à Koudougou, j’ai expliqué mon problème à des gens qui m’ont dit d’aller voir une dolotière qui m’a donné l’adresse de madame Rasmata Kabré. Depuis juillet 2008, je suis dans son centre d’hébergement avec beaucoup d’autres qui ont la même maladie que moi. Il faut laver à chaque fois. J’ai besoin qu’on me donne du savon et des habits, sinon la maladie tue les habits très vite. J’ai été opérée en novembre 2008, mais jusqu’à présent les urines coulent toujours.
Les gens sont méchants. Vraiment, souvent tu te dis que la mort vaut mieux que cette vie sans dignité que je mène. Si certaines personnes te rencontrent, tu ne veux plus être de leur famille, tu veux juste sortir, partir et ne plus revenir.
Actuellement mon vœu le plus cher est de ne plus jamais voir mes urines couler, et d’être une femme comme les autres. »
Marie Anne Maniet
Photos argentiques prises au Burkina Faso
Novembre 2011